Le modèle du cloud public, longtemps perçu comme la solution idéale pour accompagner la transformation numérique des entreprises, est en train d’être remis en question. En France comme ailleurs, un nombre croissant d’acteurs revoient leur stratégie d’hébergement et se tournent vers des architectures hybrides, alliant ressources locales, cloud privé et infrastructures publiques. Cette bascule n’est pas qu’un effet de mode : elle répond à des enjeux techniques, économiques, réglementaires et géopolitiques de plus en plus pressants.
Le cloud public sous pression : des promesses qui s’érodent
Le cloud public a séduit par sa simplicité d’accès, sa flexibilité apparente et son modèle économique à la consommation. Il a permis à des milliers d’entreprises de réduire leurs investissements CapEx, de déployer rapidement des environnements applicatifs, et de scaler sans contrainte matérielle.
Mais derrière cette souplesse, les limites structurelles du modèle apparaissent au grand jour. Parmi les principaux freins aujourd’hui identifiés :
- Des coûts d’usage mal maîtrisés, notamment liés au trafic sortant (egress fees), à la rétention de données et à la multiplication des services facturés à l’unité.
- Une dépendance technologique forte à un fournisseur unique (vendor lock-in), rendant complexe toute réversibilité ou stratégie multicloud.
- Des zones d’ombre juridiques, en particulier pour les entreprises européennes exposées au Cloud Act américain, qui permet aux autorités d’outre-Atlantique d’accéder aux données hébergées par des acteurs soumis au droit US, même si les serveurs sont situés en Europe.
- Des problématiques de latence et de performance, dans certains cas où les workloads nécessitent un traitement local ou en périphérie (edge computing).
Ces limites poussent les DSI, CTO et RSSI à envisager des architectures plus distribuées, plus pilotables, et surtout plus alignées avec les contraintes métiers et réglementaires.
Le cloud hybride : une architecture de compromis… et de performance
L’approche hybride consiste à combiner plusieurs environnements d’hébergement : cloud privé (on-premise ou mutualisé), cloud public et parfois edge computing. Cette architecture repose sur un orchestrateur ou une couche de pilotage capable de gérer dynamiquement les charges entre les différentes infrastructures.
L’objectif : déployer chaque workload dans l’environnement le plus adapté, selon sa criticité, ses exigences de performance, son niveau de sensibilité ou encore ses contraintes légales.
Par exemple :
- Une application web à fort trafic pourra tourner sur AWS ou GCP avec autoscaling.
- Une base de données client sensible restera hébergée sur un cloud privé certifié HDS.
- Des processus industriels en usine s’exécuteront localement via des nœuds edge pour minimiser la latence.
Cette granularité permet d’éviter les arbitrages brutaux entre sécurité et agilité, tout en reprenant le contrôle sur l’architecture IT.
Les trois moteurs techniques de l’adoption hybride
1. Une gestion optimisée des coûts et des ressources
Contrairement aux idées reçues, le cloud public peut devenir plus coûteux qu’une infrastructure dédiée, surtout à grande échelle ou sur le long terme. Les frais liés à la bande passante sortante, au stockage à froid, à la redondance, ou encore à l’interconnexion réseau s’additionnent rapidement.
Avec un cloud hybride, les entreprises peuvent :
- Réserver les ressources publiques pour les pics de charge ou les environnements de test/développement
- Rapatrier les workloads stables et prédictibles sur des infrastructures maîtrisées, en limitant les coûts variables
- Mutualiser les ressources sur site ou via un cloud privé communautaire pour améliorer l’efficience
Cette stratégie permet d’atteindre un TCO (Total Cost of Ownership) mieux piloté, sans compromettre la scalabilité.
2. Un pilotage avancé de la souveraineté et de la conformité
Dans un contexte réglementaire de plus en plus strict (RGPD, DORA, NIS2, HDS, ISO 27001…), le lieu de stockage et de traitement des données n’est plus une simple considération technique, mais un enjeu stratégique.
Le cloud hybride permet de répondre à ces exigences en :
- Cloisonnant physiquement les données sensibles dans des environnements certifiés
- Appliquant des politiques différenciées selon les types de données (PII, données financières, logs, etc.)
- Gérant les flux de données transfrontaliers avec une granularité juridique fine
Certaines entreprises vont encore plus loin en adoptant une approche « data mesh », combinant ségrégation logique, chiffrement bout à bout, et gouvernance multi-niveaux.
3. Une flexibilité accrue face aux évolutions technologiques
L’hybridation permet d’intégrer plus facilement de nouvelles technologies ou briques open source, sans dépendre entièrement du rythme d’évolution d’un fournisseur cloud.
Elle facilite également :
- Le déploiement de microservices sur des clusters Kubernetes interopérables
- L’adoption de DevSecOps avec une chaîne CI/CD distribuée
- L’exploitation de modèles d’IA localisés ou embarqués (LLM, edge inferencing…)
Ce niveau de flexibilité est particulièrement recherché dans les secteurs à cycles courts (retail, media, fintech), où la rapidité de mise sur le marché est un facteur différenciant.
L’écosystème cloud s’adapte à cette nouvelle donne
Les fournisseurs ont bien compris que le modèle tout cloud public ne répondait plus à toutes les attentes. Ainsi :
- Microsoft pousse Azure Stack HCI, permettant aux entreprises d’étendre Azure dans leur propre datacenter.
- Amazon Web Services développe Outposts et Local Zones, pour rapprocher le cloud des usages industriels ou sensibles.
- OVHcloud, 3DS OUTSCALE ou Scaleway proposent des clouds de confiance interopérables avec les hyperscalers.
- Des acteurs comme VMware, Nutanix ou Red Hat jouent un rôle clé en fournissant les couches d’orchestration hybride.
Les DSI ne raisonnent plus en « cloud first », mais en « cloud smart », avec une analyse granulaire des besoins, des risques, et des trajectoires d’évolution.
Vers une informatique distribuée et maîtrisée
La montée en puissance des architectures hybrides s’inscrit dans une tendance plus large : celle d’une informatique distribuée, contextuelle, et pilotée par les données. Les infrastructures deviennent modulaires, dynamiques, interconnectées — à la fois locales, globales et souveraines.
Ce modèle ne signe pas la fin du cloud public, mais la fin de son monopole stratégique. Les entreprises ne veulent plus choisir entre flexibilité et contrôle. Elles veulent les deux.
Dans ce paysage en recomposition, le cloud hybride apparaît comme une réponse réaliste, robuste et évolutive, capable d’absorber les contraintes d’aujourd’hui et les défis de demain. Pour les responsables IT, il ne s’agit plus de « faire du cloud », mais de construire une architecture d’exécution résiliente et adaptée à chaque cas d’usage.

Je suis Romain, rédacteur passionné par tout ce qui touche au high-tech, à la crypto, et à l’innovation. Diplômé d’une école de marketing à Paris, je mets ma plume au service des dernières tendances et avancées technologiques.












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