Longtemps opposés dans l’univers de la conteneurisation, Kubernetes et Docker Swarm ont représenté deux visions antagonistes de l’orchestration. Aujourd’hui encore, la question persiste dans certaines équipes : faut-il vraiment tourner la page de Docker Swarm ? Si Kubernetes est devenu le standard mondial, le débat mérite plus de nuances. Derrière la domination apparente de l’un, des cas d’usage spécifiques et des considérations techniques expliquent pourquoi l’autre n’a pas totalement disparu.
Deux philosophies d’architecture radicalement différentes
À leur lancement, Kubernetes et Docker Swarm n’adressaient pas les mêmes besoins, ni les mêmes profils.
Kubernetes, initialement développé par Google, repose sur une architecture déclarative, modulaire et hautement configurable. Il fonctionne selon le principe du desired state, en s’assurant que l’état réel des pods corresponde en permanence à celui défini dans les manifests YAML. Il intègre nativement la haute disponibilité, le service discovery, l’auto-scaling horizontal, le load balancing, le rolling update, la gestion des secrets, les probes de santé, les volumes persistants, et bien d’autres fonctionnalités avancées.
De son côté, Docker Swarm a été pensé pour offrir une prise en main simple et immédiate, en prolongeant la logique du Docker Engine. En quelques commandes, un cluster Swarm peut être initié, avec une interface CLI intuitive, sans couche d’abstraction complexe. Le fichier docker-compose.yml devient alors l’unique source de vérité, ce qui séduit les petites équipes et les projets agiles.
La montée en puissance irréversible de Kubernetes
Kubernetes a rapidement gagné du terrain grâce à son extensibilité et à son adoption massive par les hyperscalers. Amazon EKS, Google GKE, Azure AKS, IBM Cloud Kubernetes Service, Oracle OKE… Tous les fournisseurs cloud ont standardisé leurs offres autour de Kubernetes, l’imposant de facto dans les pipelines CI/CD modernes.
La montée en maturité de l’écosystème y a également joué un rôle décisif. Des outils comme Helm (pour le packaging d’applications), Kustomize (pour la gestion d’environnements), Prometheus/Grafana (pour le monitoring), Istio ou Linkerd (pour les service mesh), Argo CD (pour le déploiement GitOps) ou encore Velero (pour la sauvegarde) viennent enrichir la plateforme sans en modifier le cœur.
Enfin, Kubernetes bénéficie d’une gouvernance communautaire solide, portée par la CNCF (Cloud Native Computing Foundation). Cette fondation coordonne l’évolution du projet avec un rythme de publication rigoureux et des mécanismes de validation robustes (KEP, SIG, etc.).
Pourquoi Docker Swarm est encore présent en 2025
Malgré cette domination, Docker Swarm n’a pas été totalement abandonné. En 2025, plusieurs scénarios légitiment encore son usage :
1. Environnements restreints et projets simples
Pour des équipes aux ressources limitées, le surcoût opérationnel de Kubernetes est souvent disproportionné. Swarm permet de lancer un cluster de conteneurs sur 2 ou 3 nœuds en moins de 10 minutes, sans avoir à gérer de scheduler, de control plane distribué ou de couche CNI.
2. Cohérence avec l’héritage Docker
Certaines stacks techniques basées sur Docker depuis plusieurs années continuent de reposer sur des pipelines Swarm robustes. Repenser toute une chaîne CI/CD pour migrer vers Kubernetes n’est pas toujours justifié, surtout en l’absence de scalabilité forte ou de contraintes multi-tenant.
3. Intégration directe dans Docker CLI
Swarm reste intégré nativement dans Docker sans nécessiter de dépendance externe. La courbe d’apprentissage est ainsi très faible pour un développeur déjà familiarisé avec docker-compose ou docker service.
4. Scénarios edge ou air-gap
Dans des cas d’usage spécifiques (edge computing, environnements déconnectés, clusters isolés), la simplicité et la légèreté de Swarm sont des avantages. Kubernetes, dans ces contextes, peut être surdimensionné ou trop dépendant de ressources externes.
Les limites techniques de Docker Swarm
Malgré ses atouts, Docker Swarm souffre de plusieurs limitations majeures qui ont freiné son adoption à grande échelle :
- Pas de support natif des namespaces Kubernetes, ce qui complique l’isolation multi-projets
- Gestion des volumes persistants plus limitée, notamment avec les storage classes dynamiques
- Pas d’écosystème outillé aussi riche : pas d’équivalent direct à Helm, Kustomize, ArgoCD ou Operators
- Fonctionnalités de réseau simplifiées, sans abstraction de niveau service mesh
- Développement ralenti : peu de contributions actives, roadmap incertaine, et peu de support communautaire
Ces faiblesses structurelles expliquent pourquoi Swarm reste cantonné à des déploiements modestes, sans ambitions cloud native poussées.
Kubernetes : une complexité assumée pour une puissance inégalée
L’un des reproches les plus fréquents adressés à Kubernetes reste sa complexité initiale. La mise en place d’un cluster Kubernetes (sans solution managée) implique de configurer plusieurs composants critiques : kube-apiserver, kube-controller-manager, kube-scheduler, kubelet, kube-proxy, etcd…
Il faut également choisir et configurer un CNI (Calico, Cilium, Flannel…), un CSI pour le stockage, des outils de monitoring, de logs, de sécurité… et orchestrer le tout avec des outils comme Terraform, Ansible ou FluxCD.
Mais cette complexité est aussi la condition de sa scalabilité, de sa résilience et de sa flexibilité. Kubernetes permet de gérer des déploiements de plusieurs centaines de microservices sur plusieurs clusters répartis dans différents data centers. Il supporte les stratégies avancées de déploiement (canary, blue/green, A/B testing), l’autoscaling par métriques personnalisées, la gestion multi-tenant par namespaces, RBAC et Network Policies.
Vers une abstraction de plus en plus poussée
En 2025, le débat entre Kubernetes et Docker Swarm est progressivement remplacé par une nouvelle tendance : l’orchestration invisible.
Les développeurs cherchent à se détacher des couches opérationnelles pour se concentrer sur la logique applicative. Des plateformes comme Google Cloud Run, Vercel, Railway, Render ou Fly.io masquent complètement la complexité de l’infrastructure. Kubernetes est bien souvent toujours là… mais en arrière-plan.
Dans les entreprises plus avancées, on voit aussi émerger des couches d’abstraction au-dessus de Kubernetes : KNative pour les workloads serverless, Crossplane pour le provisioning d’infrastructure déclarative, ArgoCD pour le GitOps automatisé, ou Backstage pour offrir une interface centralisée aux équipes produit.
Faut-il encore choisir en 2025 ?
Le choix entre Kubernetes et Docker Swarm ne se pose presque plus pour les nouvelles architectures. Kubernetes s’est imposé comme le standard pour l’orchestration à l’échelle, porté par un écosystème mature et une adhésion massive des acteurs du cloud. Docker Swarm, lui, vit une existence discrète, mais reste techniquement utilisable dans des contextes bien définis.
Plus qu’un duel, il s’agit désormais d’un glissement d’époque : l’orchestration devient une commodité invisible, un détail d’implémentation dans un monde où l’expérience développeur prime. Et si Kubernetes reste au centre, il tend de plus en plus à disparaître des écrans… pour mieux faire tourner le monde.

Je suis Romain, rédacteur passionné par tout ce qui touche au high-tech, à la crypto, et à l’innovation. Diplômé d’une école de marketing à Paris, je mets ma plume au service des dernières tendances et avancées technologiques.













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